Où en est la refondation ? Quelles perspectives ? Assises de la pédagogie organisées par le CRAP-Cahiers Pédagogiques le 22 octobre 2016


Table ronde - Atelier mixité sociale et lutte contre les inégalités

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Table ronde


Selon Éric Charbonnier, expert auprès de la direction de l'éducation à l'OCDE, la Refondation était une nécessité pour remédier à la répartition inégalitaire du financement, très inférieur à la moyenne de l’OCDE dans le primaire et supérieur au lycée, au fait que le nombre de jours d'école en primaire est le plus bas de tous les pays de l'OCDE, la formation des enseignants trop académique oubliant les savoir-faire. Il souligne que les réformes qui prennent en compte les élèves en difficultés profitent à tous les élèves, il est faux de parler de nivèlement vers le bas. Son regret est le peu d'évaluation des premiers effets, en particulier sur le qualitatif : la matinée supplémentaire c'est bien, mais pour quelles pratiques ? Quelle réalité de la formation pédagogique avec un concours très académique et quand des retours montrent une inégalité de la qualité des formateurs.

Selon Jean-Paul Delahaye, auteur du rapport sur la grande pauvreté et la réussite scolaire, l’article 1 de la loi de refondation réaffirme qu’il s’agit d’élever le niveau d'ensemble et en particulier celui des enfants des classes populaires.
Alors, si la France ne se mobilise pas assez pour construire une politique scolaire d'intérêt général c’est que l’obstacle est structurel : le système est conçu pour sélectionner les meilleurs. En temps de crise la solidarité n'est pas une valeur partagée et les milieux populaires ne pèsent pas sur les choix politiques. Il y a une lutte des classes au sein du système scolaire car les dysfonctionnements de celui-ci ne nuisent pas à tous. Cette lutte de classes se traduit par des choix de classe comme la division par 2 des fonds sociaux entre 2002 et 2012 tandis qu’augmentaient les crédits pour les heures de colle en classes préparatoires. Qui sont les assistés dans ce pays ? Ceux qui prônent le vivre ensemble veulent-ils le scolariser ensemble ? Tandis que ceux qui ont un capital social et culturel sont contre la refondation, les enjeux ne sont pas suffisamment expliqués politiquement, le danger est alors que la Refondation se réduise à quelques mesures techniques.

Patrick Rayou, chercheur du laboratoire ESCOL de Paris 8 et responsable du groupe d'élaboration des programmes du cycle 4, explique qu’il s’est engagé dans cette démarche parce qu’il entendait voir prise en compte la problématique des malentendus par rapport au travail et aux savoirs scolaires pour bon nombre d’enfants issus des classes populaires. La pédagogie explicite, que les tenants du traditionalisme confondent avec l’oraison ou la profération magistrales, vise – lorsqu’on recherche la réussite de tous – à expliciter les sous-entendus. Les malentendus sont autre chose : ils sont liés à la première socialisation et donc aux cultures familiales qui créent des logiques différentes en termes de rapports au monde, au temps, aux genres… (Cf. travaux de Stéphane Bonnery, Sabine Kahn par exemple).
Il dénonce l’idée que viser la réussite de tous ou l’acquisition par tous d’un diplôme corresponde à une dévaluation de l’école et des savoirs. Cet argument de propagande repose sur une confusion entre la valeur d'usage des savoirs, leur valeur intrinsèque, et leur surévaluation monétaire sur le marché du travail quand ils sont le monopole d’une minorité.
Il défend le fait que les programmes soient curriculaires, c’est-à-dire qu’ils rompent avec les successions de disciplines, que ce soient aussi des programmes de cycles : l’année est un temps trop court, il y a nécessité d'un accompagnement sur une plus longue durée.
La véritable limite de la Refondation réside dans l’oubli des conditions de son applicabilité, les fenêtres de tir électoral ne correspondant pas aux processus éducatifs.

Selon Caroline Rousseau, professeure de français en collège, un point positif de la réforme est, sur le terrain, une implication de tous les professeurs qui s’accompagne d’une reconnaissance de la pédagogie. Autre point positif : l’évaluation du brevet avec 4 niveaux de maitrise. Toutefois elle pointe combien cela vient alourdir le quotidien quand il faut tout refaire en contexte de réunionnite. Il ne faudrait pas décourager les plus motivés.

Obstacles aux nécessaires évolutions :

Conservatisme et corporatisme enseignant ?

Eric Charbonnier est revenu sur les constats de l’OCDE : après la première enquête PISA, en France on a contesté la pertinence des tests tandis qu’en Allemagne s’organisait une année de concertation entre landers. La France est le pays où les enseignants travaillent le moins entre eux et où les chefs d'établissement prennent le moins en compte les enseignants.
Gestion des ressources humaines ?

Jean-Paul Delahaye rappelle que les établissements populaires ont moins d'enseignants qualifiés, il souligne la nécessité de prendre en compte les différences de difficulté des différents postes de travail.
La formation ?

Selon Patrick Rayou la formation des enseignants n’offre pas l'alternance de la formation universitaire avec la pratique réflexive (sur le modèle de celle des médecins). Le problème est structurel et les objectifs de la formation sont en second plan dans les préoccupations des institutions. Ce qui s’est passé pour les programmes d'histoire est emblématique du fonctionnement français et il faudrait un gigantesque effort politique. Le pessimisme est encore plus fort en ce qui concerne la formation continue : Jean-Paul Delahaye raconte que Vincent Peillon a failli écrire que celle-ci était une obligation, à quoi il lui a été répondu par les autres ministères, Bercy en tête : sur quels moyens ? Un embryon de ressource se trouve dans la création du statut du professeur formateur dans le second degré et la réactivation du statut des PMF dans le premier ainsi que dans le début de création d'équipes pluricatégorielles dans les ESPÉ.

Les questions de la salle ont permis de revenir sur les 3 heures d’accompagnement personnalisé pour qu'elles ne deviennent pas 3 heures disciplinaires supplémentaires. Personnaliser c’est travailler différemment, faire coopérer les élèves dans des groupes, permettre qu'il y ait des assistants et de la coanimation dans certains espaces de travail, prendre en compte les apprentissages plutôt que les contenus… De préciser aussi que l'idée du cycle 3 et du conseil école/collège vient de l'éducation prioritaire, un point de vigilance est que la 6ème ne doit pas devenir un CM3 ni le CM2 une 7ème...
Une question de la salle a rencontré un fort écho : « Comment déconstruire les représentations des enseignants sur les parents pauvres qui ne s’intéresseraient pas à l’école, à leurs enfants… », représentations qui sont violentes dans ce que les enseignants renvoient aux parents pauvres.
Et une question sans réponse : Comment joindre injonctions au Vivre ensemble et injonctions sécuritaires qui créent la peur de l'autre ?

 


Atelier mixité sociale et lutte contre les inégalités


Faiblesse des politiques publiques : les offres scolaires sont très différentes selon les territoires : dans les ZEP on trouve davantage d’encadrement peu motivé, c’est là que les non-remplacements sont les plus fréquents et longs, on y trouve des conditions indécentes qui ne dureraient pas 3 jours dans des « ghettos de riches ». Il convient d’avoir également en tête la situation de zones rurales où la violence n’est pas apparente mais tristement présente et destructrice dans les familles ; le passage en REP ne garantit pas l'amélioration (question de la formation, de regard sur les parents, de fossé culturel).

Mais la mixité d'un établissement ne fait pas celle des classes. La ségrégation se retrouve à l'intérieur des établissements par le jeu des filières et des options entre classes poubelles (STMG) et d'élite (science), filières féminisées ou masculines. Il y a des inégalités sociales d’orientation. La ségrégation enfin est aussi question de pratiques pédagogiques, par exemple par la non prise en compte des rythmes d'apprentissage ou de différences de connivence entre le capital culturel familial et la culture scolaire.

Tous ont appelé de leurs vœux « une véritable politique d’éducation prioritaire ».

Une priorité : ce qui se joue dans les langages : l’ensemble des témoignages soulignent qu’il y a là source de discrimination. « Comment apporter le lexique dès la maternelle ? » s’interroge une professeure des écoles que sa situation de remplaçante conduit à constater les différences d'acquis et de langage entre écoles. Un parent d’élève souligne que cela implique de développer la scolarité des moins de 3 ans. Une professeure de français en collège rural appuie ce constat et fait le lien avec l’insuffisance du travail à l'oral.[1] Ce problème du ou des langages aurait mérité d’être approfondi : Nathalie Mons signale que la même difficulté s’observe en mathématique.[2]

 

La question de la formation est ressentie comme cruciale : elle n'est pas (seulement) quantitative, les formateurs ne sont pas toujours suffisamment formés... Ça aboutit au désengagement des professionnels à moins qu’ils ne fassent la démarche d’aller ailleurs chercher les ressources dont ils ont besoin. C’est la formation qui nous apprendra à ne pas naturaliser l’échec, à accéder aux recherches, à prendre en compte l’hétérogénéité, à ne pas confondre déterminismes sociaux et handicap à condition de ne pas s’en tenir à la didactique (aux didactiques) mais de prendre plutôt appui sur le référentiel métier. L’apprentissage du métier d’enseignant (en ZEP) inclut l’apprentissage de « l’imagination pédagogique ».

Une formation continue de qualité est peut-être plus nécessaire encore que la formation initiale.

Une école « déghettoïsée » : L’action en ce sens peut être multiple.

Ce sont les liens avec les parents : « on n'apprend pas la réunion de parents, on n'y réfléchit pas ensemble ». Lorsque l’obstacle vient du côté de la langue, l’école peut s’appuyer sur certaines familles comme interprètes, devenir un lieu d’apprentissage du français pour les familles aussi.

 Ce sont des liens avec le quartier, en veillant à ce que la proximité peut s'accompagner de préjugés. Ce sont des partenariats sans externalisation : il ne s’agit pas de s’exonérer en confiant les élèves en difficulté mais de travailler ensemble et que l’école, les enseignants, s’investissent dans le quartier (la commune, le canton…). C’est enfin « rayonner positivement » : travailler aussi sur les réussites, sortir du quartier pour aller en centre ville.

 

Ne pas oublier la pédagogie : être convaincus qu’il est indispensable et possible de déjouer les déterminismes sociaux, apprendre à faire toute sa place à l’oral, à organiser le travail de groupe, les apprentissages entre pairs. En contexte plurilingue, savoir que la richesse de la langue maternelle rendra plus efficace l'apprentissage de la langue seconde, rendre explicites les attendus de l'école, ajouter la culture.

 

 



[1] Le point ne pouvait matériellement être approfondi dans le contexte de l’atelier mais on pourrait construire des liens avec la conférence d’A. Vibert sur la construction de la compétence de lecture aux cycles 3 et 4 : http://www.afef.org/blog/post-construction-de-la-compytence-de-lecture-du-cycle-y-au-cycle-r-p1789-c26.html

Soumis par   le 09 Novembre 2016