Philippe Meirieu, La Riposte


Note de lecture de Marlène Lebrun

Philippe Meirieu, La Riposte
Écoles alternatives, neurosciences et bonnes vieilles méthodes : pour en finir avec le miroir aux alouettes

 

Essais et documents - Paru le 29/08/2018 304 pages - 137 x 212 mm Format poche EAN : 9782746747579 ISBN : 9782746747579

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Note de lecture de Marlène Lebrun

 

« Pour que vive un vrai débat citoyen sur l’éducation »,   ces quelques mots résument le projet du dernier ouvrage de Philippe Meirieu. Publié à la rentrée 2018, La Riposte  vient à point nommé dans un climat de plus en plus polémique : tout un chacun a un avis bien arrêté sur ce qu’il faut pour l’Ecole, nous l’avons tous fréquentée et même, pour ses acteurs, jamais quittée.   Les politiques ont aussi des avis bien arrêtés et, quand ils sont au gouvernement,  leurs réformes sont distillées et  discutées comme des remèdes miracles auxquels, finalement, on croit ou ne croit pas, selon l’effet Placebo. L’auteur de La Riposte a l’immense courage de poser les fondements d’un véritable débat sur les finalités d’une Ecole démocratique qui fasse fonctionner l’ascenseur social. Si la polémique sur le « comment » fait rage, le débat sur le « pourquoi » -en un et deux mots- est primordial. C’est tout l’enjeu de l’ouvrage de Philippe Meirieu qui adopte une triple posture, celle du militant engagé, celle du praticien et celle du chercheur.

Deux parties : la première s’intitule Sur la crête et la deuxième Dans l’Arène. Tout un programme circonscrit par un sommaire dont la lecture permet de créer un horizon d’attente explicite. D’aucuns savent que, sans la construction de celui-ci, toute lecture risque de passer à côté de la construction de sens. Philippe Meirieu, comme  il le  précise dans le  chapitre liminaire, plante le décoret ne se contente pas de surfer sur la vague. Il sait maintenir l’équilibre sur une crête que les « bonnes vieilles » méthodes traditionnelles de l’école d’hier- Ah, nostalgie quand tu nous tiens !- et les méthodes exportées du développement personnel – chercher toujours l’efficacité rentable et la faire passer pour novatrice- n’arrivent pas à franchir.  L’auteur pourrait reprendre la formule  qui ouvre Les Caractères de La Bruyère :

Tout est dit, et l’on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu’il y a des hommes, et qui pensent. Sur ce qui concerne les mœurs, le plus beau et le meilleur est enlevé ; l’on ne fait que glaner après les anciens et les habiles d’entre les modernes.

Il faut chercher seulement à penser et à parler juste, sans vouloir amener les autres à notre goût et à nos sentiments ; c’est une trop grande entreprise.

C’est un métier que de faire un livre, comme de faire une pendule ; il faut plus que de l’esprit pour être auteur.

 

Le ton est donné d’emblée, c’est  celui d’un homme engagé et révolté qui refuse le découragement car le futur reste tout entier à écrire : ni décliniste ni technophobe,  Philippe Meirieu  fait le constat amer d’une fracture sociale détruisant le lien social et d’une politique de l’éducation quelque peu populiste qui fait le grand écart entre les intérêts des uns et des autres  sans être à une contradiction près.  Par exemple, le nouveau calendrier scolaire qui revient à la semaine de 4 jours réduit le temps passé à l’école primaire de façon drastique (la France est  très loin à  la fin du peloton occidental pour le nombre de jours scolaires), mais  il est de bon ton de rétablir une dictée quotidienne comme une panacée sans se demander si elle est moyen d’apprentissage ou simplement évaluation. Autre paradoxe : remplacer la mesure de dédoublement des classes  (deux maitres pour 24 élèves) par un maitre pour 12, dans les zones défavorisées,  sans prendre en compte les résultats de recherche  à propos de l’impact de la baisse de l’effectif sur l’efficacité de l’enseignement. Et Philippe Meirieu  de proposer  une définition de la différenciation pédagogique aux antipodes de celle qui la confond avec l’enseignement individualisé et qui oublie que l’on n’apprend pas seul et que le collectif classe est un atout quand on utilise sa diversité et que la coopération  remplace la compétition.

Meirieu n’a de cesse de situer le débat actuel sur l’éducation dans une perspective historique qui, souvent ignorée ou oubliée,  est incontournable pour comprendre comment il y a un siècle,  les théoriciens  très différents les uns des autres de l’Education nouvelle ont proposé de nouveaux enjeux pour une Ecole qui permette à l’enfant de grandir en apprenant  et  de devenir un citoyen qui pense. S’il s’agissait simplement de transmettre pour que l’élève apprenne, l’enseignement ne demanderait pas d’expertise mais il n’y a pas de « transmission pure » par la simple magie du discours.   Une réflexion sur les conditions de l’apprentissage n’obère pas l’exigence  de la qualité des savoirs. Or,  en croyant que cette réflexion est un palliatif à des savoirs lacunaires ou superficiels, nombre de tenants de la pédagogie traditionnelle vouent aux gémonies les pédagogues qui s’intéressent aux conditions de l’apprentissage car ils nivelleraient par le bas.

 En filant la métaphore du combat de boxe,  l’auteur propose trois rounds  pour  démonter   trois mythes, celui de la pure transmission, celui de l’explication qui empêche souvent de comprendre et enfin celui des préalables ou prérequis  à l’encontre de toute réelle démocratisation de l’enseignement, comme si, dans un pur esprit cartésien de catégorisation,  l’enseignement serait simple affaire  de progression du plus simple au plus complexe.

 Après avoir renvoyé dans les cordes les « antipédagos », Philippe Meirieu   dénoncent ceux qu’il appelle les hyperpédagos, ceux qui surfent, tels des magiciens, sur la vague du développement personnel et de l’empirisme à tout crin.  Peut-on  se contenter  de l’activisme (faire pour faire)  et  de faire l’impasse sur une réflexion sur les savoirs construits,  autrement dit de métacognition, sans laquelle il n’y a pas de véritable apprentissage ? Faudrait-il réserver la conceptualisation à ceux qui en bénéficient « naturellement » dans leur milieu familial ?

 Selon  ce penseur de l’éducation, les antipédagos élitistes qui ne jurent que par les prérequis et les hyperpédagos qui croient en la spontanéité de l’enfant et la confondent avec la liberté sont dans le même camp.  Il remarque que certains magazines consacrent leurs pages aux deux partis comme si, dans les deux cas, il fallait protéger un enfant roi, un enfant exceptionnel en le retirant de l’Ecole unique qui ne favoriserait pas le développement de son potentiel. C’est alors l’arrivée des écoles alternatives avec leur credo du développement personnel dans l’air du temps consumériste focalisé sur le bien-être de l’individu. 

Si Meirieu se positionne pour l’autonomie des établissements, il ne souhaite pas qu’ils deviennent indépendants. Il prône une autonomie démocratique et non libérale dans un service public repensé pour le bien commun selon le vœu de Comenius.  Le pédagogue,   c’est le père de Pinocchio, Gepetto qui se voit bafoué par  la créature qu’il vient de façonner et en qui il met tous ses espoirs. Belle réflexion sur le dressage et la liberté : « Le pédagogue est un insurgé. Un insurgé libéré du fanatisme par l’inquiétude radicale qui habite sa détermination et sauvé du dogmatisme par sa tendresse à l’égard de l’imprévisible humanité qui surgit, parfois au quotidien, chez les « petits d’hommes » qui lui sont confiés. » ( 95)

La vraie question concerne les finalités de l’éducation –Quel enfant former ? Pour quelle société ?-,  et, son corollaire, les conditions d’une véritable démocratisation d’une Ecole  de la République juste et solidaire. C’est l’objet de la deuxième partie qui présente de véritables propositions pour refonder l’Ecole de la République. Examinons deux d’entre elles même si elles méritent toutes une lecture et une analyse approfondies.

Si l’Ecole devient un espace de décélération car pour apprendre et penser, il faut du temps, il faut former à l’attention pour ne pas céder à la dispersion générée par la totémisation des appareils numériques.  Certes, les neurosciences produisent des avancées scientifiques intéressantes  mais elles ne peuvent s’occuper de pédagogie  car celle-ci travaille avec la complexité de l’humain qui apprend,  qui grandit avec tous les paramètres en jeu, affectifs, sociaux et pas seulement cognitifs.

 Ainsi l’Ecole peut-elle devenir un espace approprié pour apprendre à débattre, ce qui est la condition de la recherche de la vérité pour un citoyen éclairé.   Cela va  à l’encontre des débats médiatisés  où règnent les  lois du spectacle   qui donnent à voir une simple juxtaposition d’idées personnelles, une joute oratoire donnée en pâture aux spectateurs des jeux du cirque. En fait,  il ne s’agit pas de gagner un débat mais de convaincre de la validité et de la pertinence des thèses défendues pour faire avancer la vérité.  

 Ce militant engagé met en garde contre une pédagogie bancaire,  très machiavélique,  celle des opprimés dénoncée par Paulo Freire, celle où l’on ne travaille que pour la note,  pour le résultat. Il  appelle de ses vœux une pédagogie du chef d’œuvre, terme emprunté à Freinet, repris aussi par Jolibert et qui ancre le travail scolaire dans un processus formateur, adapté à chaque apprenant. Il s’agit  d’apprendre à devenir, non pas meilleur que les autres, mais meilleur que soi-même, comme le dit  aussi Albert Jacquard.

Philippe Meirieu rappelle  l’effort, l’exigence  que nécessite l’apprendre qui, dans une société consumériste où ne prévaut que l’immédiateté, est dévalorisée. Il s’agit bien d’apprendre à travailler ! La culture ne fait plus rêver et pourtant elle reste le seul moyen de désaliénation et de libération des préjugés. Le penseur récuse une définition de la culture comme accumulation de connaissances,  hier érudites  et aujourd’hui  de plus en plus spécialisées et limitées à un tout petit objet. Il propose une définition de la culture qui soit questionnement et  aventure de la pensée.

 Ce praticien réputé – universitaire, il a eu à cœur d’enseigner une année en lycée professionnel pour montrer l’adéquation entre le dire et le faire- développe l’exemple de l’entrée dans l’écrit et rappelle qu’il n’y a pas de préalable : l’intention  (construire du sens) et  l’outil (utiliser la langue,  jouer avec la fonction poétique des mots) se travaillent ensemble. Sans projet d’écrire, sans goût d’écrire, et cela se transmet par un maitre écrivant et incitateur, l’apprentissage de l’écrire reste lettre morte et, toute sa vie durant, l’adulte aura peur de la page blanche, ne découvrira pas la fonction  profondément heuristique de l’écrit et n’utilisera pas l’écrit comme un moyen de penser. 

 Pour ce chercheur, il importe de réintégrer  les apprentissages scolaires dans l’histoire des savoirs de l’humanité : l’enseignant réenchante les savoirs et leur donne leur vocation, celle qui permet au « petit d’homme » à l’apprenant de s’inscrire dans l’histoire de l’humanité, dans une histoire de la pensée qui ouvre la voie de l’émancipation et de la liberté de penser, de la reliance chère à Edgar Morin qui unit le singulier à l’universel.

La dernière proposition du gladiateur  dans l’arène est liée à la formation d’un citoyen éclairé dans une école inclusive qui propose des activités intégratrices avec  un accompagnement personnalisé. Meirieu regrette l’externalisation  du traitement des difficultés scolaires aujourd’hui comme si l’école se dédouanait  d’un problème qui  ne serait pas de son ressort. A causes externes, remédiations externalisées !   C’est scier la branche sur laquelle s’assoit le pédagogue et la perte de confiance en l’Ecole guette si les parents n’ont pas d’autre recours que d’aller vers des écoles alternatives, des associations de soutien, des officines de remédiation scolaire, des cours particuliers. Mais quels parents ? Les plus privilégiés…

C’est la volonté d’adéquation entre le dire et le faire qui a guidé Meirieu dans tous ses engagements  et qu’il donne à lire dans ses  ouvrages. Comme le loup de la fable qui joint le geste à la parole et fuit encore pour affirmer sa liberté car il refuse toute aliénation même si elle pourrait être dorée, Philippe Meirieu réaffirme des principes éthiques  liés à l’engagement impartial : la non-infaillibilité, le non opportunisme,  le refus de la fuite ou du compromis dans le  pseudo réalisme. 

 Véritable somme, cet ouvrage permet de relire les autres ouvrages  sur l’éducation et la pédagogie : les questions sont vives et restent ouvertes.  Il appelle un public large, intéressé par les questions de l’éducation mais aussi  un public enseignant et expert. Plume alerte, incisive,  l’auteur offre à réflexion un fonds très riche et passionnant alternant  des anecdotes,   des réflexions philosophiques, politiques et  des propositions éducatives.  

Soumis par   le 19 Octobre 2018