Pour la réforme, un levier de réussite : les programmes de français
Le français représente un enjeu énorme pour consolider les chances de réussite de la réforme du collège. La compromettre, c’est condamner le plus grand nombre des élèves à des difficultés plus grandes, nous n’en avons pas le droit. Des enjeux importants pèsent sur notre champ disciplinaire, présenté comme premier dans le socle commun et les programmes des cycles 2-3-4, nous en sommes conscients. Des programmes qui répondent aux ambitions qui nous animent sont nécessaires, c’est pourquoi nous émettons les propositions qui suivent. Il s’agit de réorienter l'écriture des programmes de français, notamment en cycle 4, car leur cohérence et la continuité avec ceux des cycles précédents ne nous semblent pas totalement assurée. Et surtout, malgré uncadre général pertinent, nous avons peur qu'ils paraissent difficiles à comprendre et à appliquer.
Soyons clairs, il n'est pas question pour nous d'être mêlés au chœur des pourfendeurs de la réforme du collège, à laquelle nous croyons. Nous avons pris le temps de la défendre[1] en énumérant les raisons pour lesquelles elle est indispensable si l'on veut réduire les inégalités scolaires et permettre la réussite du plus grand nombre d'élèves. Elle permet, notamment, sans remettre en cause les postures traditionnelles de l'enseignant, de construire une posture supplémentaire avec un regard centré sur l'apprentissage et un souci d'étayage vis-à-vis des élèves qui ont le plus de difficultés avec les savoirs scolaires.
D'une manière générale, sur les cycles 2-3-4, nous apprécions un cadre commun qui passe de la logique de programme à appliquer, avec des listes de contenus à transmettre, à celle de curriculum indicatif, centré sur les compétences que les élèves doivent développer et les savoirs qu'ils doivent acquérir. Le choix de commencer par l'oral dans les trois cycles vise à redonner sa juste place à un domaine d'activités langagières trop souvent absent des pratiques de classe. Le choix de continuer par l'écriture poursuit cette logique, et il est bon de réintroduire dans la classe l’habitude d’écrire régulièrement, beaucoup et souvent.
Deux questions cependant méritent d'être posées avant de pouvoir émettre des propositions.
Une première porte sur la progressivité : alors que des avancées didactiques intéressantes sont actées dans les programmes du cycle 3, par exemple, "Produire des écrits pour penser et apprendre (expliquer une démarche, justifier une réponse, argumenter)" elles sont minorées dans le cycle 4, comme si cet apprentissage ne devait pas être continué ; ou comme si le fait de l'avoir écrit au cycle précédent suffisait. Nous savons bien que les enseignants ont déjà assez à faire à s'approprier les programmes du cycle où ils enseignent pour vraiment prendre le temps de lire les autres. Or, cette progressivité et cette continuité sont importantes, notamment entre les cycles 3 et 4, à cheval sur l'école et le collège. En effet, les professeurs de 6ème et de 5ème vont devoir faire coïncider deux logiques pas toujours congruentes, alors qu'ils sont déjà pris entre deux cultures différentes, la culture polyvalente du primaire qui domine le cycle 3, et la culture disciplinaire monovalente du cycle 4. Il nous semble que cette articulation mériterait d'être pensée et précisée pour que nos collègues n'aient pas à faire le grand écart.
L'autre question porte sur l'étude de la langue dont la place dans les programmes des trois cycles nous interroge. Est-ce le souci de ne pas bousculer brutalement les habitudes qui a inscrit l'étude de la langue comme une entrée, ou compétence (ce qu'elle n'est pas), sur le même plan que l'oral, l'écriture et la lecture ? L'étude de la langue pose toujours problème au sein de la séquence, et si certains savoirs linguistiques et compétences métalinguistiques réflexives peuvent s'acquérir par des activités décloisonnées, ce n'est pas le cas de toutes, et surtout pas pour tous les élèves, les plus faibles étant ceux qui souffrent le plus de la globalisation des tâches. Comment, à certains moments, articuler des activités linguistiques dans une séquence pour leur donner du sens, et à d'autres focaliser l'activité des élèves sur des apprentissages et des savoirs linguistiques pour développer leurs connaissances sur la langue et leurs compétences métalinguistiques réflexives ? Ce va-et-vient n'est pas évident pour les enseignants, et mérite au moins d'être explicité. Et ce n'est probablement pas de faire de l'étude de la langue une "compétence" qu'elle n'est pas, parmi d'autres, qui permet de l'expliciter.
Arrêtons-nous maintenant plus précisément sur les programmes du cycle 4 : ils coïncident avec l'introduction des Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (EPI) dans lesquels, nous semble-t-il, le français devrait jouer une part importante, tant il y a du français dans toutes les disciplines. Le socle commun insiste sur les compétences langagières, certes, et attirer l'attention, dans les programmes, sur les acceptions différentes de termes comme argumenter, décrire… dans les disciplines est un minimum pour que les enseignants des différents champs disciplinaires puissent comparer les usages et ne pas les confondre. Mais le professeur de français a un rôle supplémentaire, qui devrait être explicité dans les programmes, c'est celui d'aider les élèves à faire le lien entre ces acceptions grâce à la compétence linguistique qu'il construit. Cette explicitation nous semble fondamentale pour les EPI. Il est d’ailleurs surprenant qu’aucun des exemples présentés dans la réforme du collège ne comporte explicitement le développement de compétences langagières. Cette explicitation est aussi nécessaire dans les programmes : il suffirait pour cela d'ajouter aux tableaux de compétences du cycle 4, comme dans les cycles précédents les "compétences dans d'autres enseignements" ou "croisements interdisciplinaires", (qui n'y apparaissent quepour l'étude de la langue). Pour aider à la réussite des EPI, il nous semble indispensable de fournir aux enseignants de français des exemples montrant la place que leur discipline peut y prendre, et d'assortir les programmes de français de suggestions de liens interdisciplinaires.
Concernant toujours les programmes de cycle 4, une des plus grandes difficultés de lisibilité et de compréhension vient probablement de la succession de tableaux dans laquelle il est difficile de se retrouver. Après le tableau général des cinq domaines du socle, deux séries de tableaux sont d'une articulation peu évidente :
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la première comporte des thèmes culturellement ouverts, problématisés ou non, présentés dans un tableau à double entrée, par famille thématique et par année ;
- la deuxième comporte des entrées ou compétences (oral, écriture, lecture, étude de la langue).
Pour aider à la clarification des tableaux, nous proposons, comme dans le tableau en annexe, de s'inspirer de la présentation des programmes de baccalauréat professionnel, qui articulent thèmes, compétences, connaissances.
Pour que ces programmes de cycle 4 puissent atteindre comme nous le souhaitons les buts fixés dans la réforme, quelques éléments devraient être retravaillés dans la version finale :
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Fixer des niveaux de savoirs et de compétences que les élèves de chaque cycle doivent atteindre pour fonder une culture indispensable à leur formation comme personne, citoyen, futur professionnel ;
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Dans la rubrique écriture, formuler clairement la quantité et la régularité des écrits à produire ; revoir la formulation du processus d'écriture qui laisse penser à un écrit préexistant qu'il suffirait de rédiger, et non à une écriture qui se construit en écrivant ; et expliciter ce qu'est l'écrit pour penser, pour comprendre, pour apprendre, comme dans le programme du cycle 3 :
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Poursuivre le travail sur l'apprentissage continué de la lecture-compréhension de textes de plus en plus complexes ;
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Donner des indications pour inciter à faire entrer les élèves dans une approche sensible, personnelle, argumentée de la littérature, dont l'accès, au collège, demande de franchir un palier supérieur ; et des indications pour balayer les différents genres, les différentes époques littéraires, mais aussi donner une place essentielle aux littératures francophones et étrangères ;
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Donner des pistes pour faire du plurilinguisme un atout pour la classe de français, pour "sensibiliser à la valeur sociale et culturelle de la diversité linguistique, afin d’amener à la bienveillance linguistique et de développer la compétence interculturelle"[2]. Dans le tableau des thèmes, le premier de la classe de cinquième "Le voyage et l'aventure : pourquoi aller vers l'inconnu ?" gagnerait ainsi à être élargi à "aller vers l'autre", dans la perspective d'une école inclusive qui intègre tous les élèves ;
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Revoir la présentation de l'étude de la langue : alors que le préambule annonce que l'étude de la langue doit s'inscrire dans une "dynamique d'ensemble", dans une "perspective de développement des compétences langagières", la présentation en bloc "étude de la langue" mélange ce qui est de l'ordre des savoirs, des compétences linguistiques, et des compétences langagières activées pour parler, écouter, interagir, écrire, lire (qui devraient trouver place dans les entrées oral, écriture, lecture…). Ce bloc finit par constituer un objet d'étude en soi, alors que l'étude de la langue devrait être au service des activités langagières…
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Inscrire clairement la référence à l'orthographe rectifiée de 1990, déjà présente dans les programmes d'école et de collège de 2008. Difficile de ne pas voir comme une régression sa disparition, alors que nous étions en droit de croire qu'elle serait imposée comme la règle d'écriture pour l'ensemble des programmes des différents niveaux, et pour l'enseignement dans toutes les classes.
Ce projet de programme du cycle 4, s'il présente une étape intégrée dans le cadre général commun aux trois cycles, mérite d'être réorganisé, complété, mieux articulé avec les précédents cycles. Nous avons tous intérêt à y travailler pour repérer les manques et proposer un cadre qui permette de réarticuler l'ensemble, par niveau de classe, et par niveau d'exigence de compétences et de savoirs. Les présentations peuvent être clarifiées, l'AFEF a ainsi commencé à travailler sur la proposition ci-jointe, un tableau repensé pour mieux articuler les différentes logiques : domaines du socle, thèmes, compétences, méthodes et activités, connaissances. Il s'agit d'un document de travail en cours d'élaboration, mais qui peut servir de base à la réflexion.
Est-ce le lieu d'insister sur l'importance de l'accompagnement de la mise en œuvre de la réforme du collège et des nouveaux programmes, inscrit dans le texte lui-même ? Il y a urgence à penser la formation initiale et continue pour aider les enseignants à entrer dans la logique et les postures induites par la réforme. Il n'est pas trop tard pour penser à mettre tous les moyens au service de sa réussite, il y faut une volonté politique forte.
Le cadre de la concertation nationale, tel qu'il est présenté, ouvre peu d'espace à une véritable réorganisation ou réécriture des programmes, la série de questionnaires à choix multiples et de cases contraintes permet tout au plus de formuler quelques remarques.
C'est pourquoi nous pensons qu'il faut aller plus loin pour faire réussir cette réforme du collège, et faire des propositions pour que les programmes de français constituent un véritable levier de réussite pour tous les élèves. Nous ferons une proposition élaborée au nom de l'AFEF pour laquelle nous appelons tous les collègues, enseignants de français à tous les niveaux, à nous faire parvenir leurs suggestions et propositions pour les programmes des trois cycles, et tout particulièrement sur ceux du cycle 4, gages de la réussite de la réforme du collège.
Pour soutenir notre démarche d'amélioration des projets de programmes, vous pouvez :
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répondre à la consultation nationale en faisant remonter vos analyses ;
- répondre à cet appel en nous envoyant vos suggestions et propositions (avec votre nom et fonction) à : afef.contact@gmail.com
Merci à tous, nous comptons sur votre soutien.
Pour l'AFEF,
Viviane Youx, présidente
[1] "La réforme du collège : chiche", Dominique Bucheton, site AFEF http://www.afef.org/blog/post-la-rurme-du-collu-chiche--p1519-c15.html
[2] Conseil de l'Europe / Unité des politiques linguistiques 2007
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