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Pourquoi s’intéresser à la compréhension en lecture ?
Rencontre de l'AFEF - Journée du samedi 21 mars 2015 - Problématique
Bibliographie succincte pour préparer la rencontre
Plusieurs publications récentes font état de préoccupations concernant les performances en lecture des élèves français. Contrairement à ce que certains propos laissent penser, la compréhension ne va pas de soi. Tentons de préciser comment se pose le problème.
Les représentations sur la lecture les plus répandues, y compris chez bien des enseignants, restent marquées par l’héritage du passé, envers et contre toutes les avancées de la recherche en didactique. Plusieurs explications à ces résistances (que l’on observe dans d’autres domaines, l’écriture par exemple) : limites de la formation, défauts des manuels les plus couramment utilisés, modalités habituelles de l’évaluation, lacunes des programmes… Beaucoup persistent à considérer que l’apprentissage de la lecture serait l’affaire de la seule école primaire (voire du seul cycle 2, quand ce n’est pas du CP), perpétuant une vision simpliste de cet apprentissage, à travers une succession d’étapes : apprendre à déchiffrer, puis accéder à l’explicite, et enfin à l’interprétation. De plus, on fait comme si « la » lecture fonctionnait selon un modèle unique, indépendamment de la nature des textes à lire, de qui les lit, dans quel contexte et dans quel but.
Les évaluations portant sur les capacités de lecture des élèves à divers moments de leur scolarité, qu’elles soient menées en France ou ailleurs, montrent les insuffisances des pratiques d’enseignement reposant sur ces conceptions datées. C’est ce que traduisent le rapport du HCE à l’entrée en sixième (2007), les évaluations PIRLS (2011) au niveau du CM1[1], ou les évaluations PISA (décembre 2012) à la fin de la scolarité obligatoire… La fracture commencerait, semble-t-il, à se manifester à la fin du cycle 2 actuel. C’est ce que montre un rapport récent de la DEPP sur le CE2, « Le niveau stagne » : il stagne dans d’autres domaines, mais les performances en compréhension reculent, et les écarts s’accroissent. On sait que ce sont les élèves les plus éloignés sociologiquement de la culture de l’école qui en subissent le plus gravement les conséquences.
Une fois que les élèves « savent lire », comme on dit, c'est-à-dire sont capables de décoder, la compréhension d’un texte est trop souvent considérée comme allant de soi. Le rapport de juin 2013 où l’inspection générale dresse le Bilan de la mise en œuvre des programmes issus de la réforme de l’école primaire de 2008 constate ainsi, en lecture, que même si 96 % des enseignants du cycle 2 ont le sentiment d’enseigner de manière satisfaisante la compréhension des textes, pour les maitres eux-mêmes les stratégies que les élèves doivent mettre en œuvre pour apprendre à comprendre ne sont pas explicites. Beaucoup d’enseignants véhiculent d’ailleurs involontairement une représentation fausse de la lecture : il suffirait d’avoir lu tous les mots d’un texte pour l’avoir compris. A l’issue de l’école primaire, beaucoup d’élèves n’ont pas de vue d’ensemble d’un texte qu’ils viennent de lire, et très peu accèdent à l’implicite.
Pourtant, la vision cumulative des opérations intellectuelles impliquées dans l’acte de lire évoquée plus haut avait été fortement ébranlée par les travaux de chercheurs s’intéressant à la réception des textes. A leur suite, Yves Reuter et bien d’autres ont interrogé la didactique de la lecture littéraire. Aline Karnauch intitulait ainsi en 1999 son article dans Repères n°19, Quand nous croyons qu'ils comprennent...Quand nous croyons qu'ils n'ont pas compris... Dans ce même numéro, on peut lire sous la plume de Martine Rémond et François Quet : Pour devenir un lecteur accompli, l'élève a besoin d'apprendre à utiliser l’écrit (…). Le cycle 3 ne semble pas donner l'importance souhaitable à la lecture stratégique qui, trop souvent, nait d'auto-apprentissages réussis ou non. Il ne suffit pas d'être bon décodeur pour devenir bon compreneur (…), d’où les mérites d’un enseignement explicite de la compréhension auquel il convient de donner un statut en lui consacrant du temps, en travaillant avec les élèves sur leurs démarches et leurs erreurs. Dans cette optique, les ouvrages (Lector-Lectrix et Lectorino-Lectorinette paru plus récemment pour les classes de CE1-CE2) édités par Roland Goigoux et Sylvie Cèbe, parmi d’autres publications[2], ont à leur tour souligné et analysé les pièges du seul questionnaire sur les textes, procédé toujours si répandu, évaluant une compréhension que les élèves n’ont pas appris à construire. Ils facilitent la mise en place d’une lecture stratégique, puisqu’ils proposent à l’enseignant, du CE1 à la 6e, classes de SEGPA comprises, des supports appropriés et une démarche décrite très précisément.
Les programmes de 2002, qui orientaient les enseignants vers une prise en compte des textes dans toutes leurs dimensions[3], ont suscité des pratiques intéressantes, dès l’école primaire. Elles ont été parfois poursuivies, et d’autres pistes de travail sont apparues, comme en témoignent des publications récentes, par exemple en s’interrogeant sur l’évaluation de la lisibilité des textes[4]. Le dossier Devenir lecteur du numéro 516 des Cahiers pédagogiques, coordonné par Jacques Crinon, paru en novembre 2014 porte plus précisément sur l’entrée dans l’écrit. L’ouvrage de Marie-France Faure Lire au collège : savoir interpréter les textes et savoir en parler, permet quant à lui de mieux comprendre l’acte de lire dans ses différentes dimensions, au-delà des premiers apprentissages. L’ouvrage entreprend de considérer la lecture dans sa complexité(…), à la fois comme processus de compréhension/interprétation, comme expérience sensible (…) et comme pratique culturelle. (…) Il s’agit ainsi de comprendre quelle cohérence mettent en œuvre ceux des adolescents dont les conduites nous déroutent. Et cette réflexion interroge nos pratiques : Comment susciter des envies de lire (chez les adolescents) si on récuse leurs réactions et leurs interprétations au motif d’une erreur ou d’une incapacité [5] ?
Le problème est d’autant plus important qu’il touche la capacité à lire dans toutes les disciplines : il affecte par conséquent la scolarité dans son ensemble. Les programmes de 2008 y ont leur part de responsabilité, car ils ne prennent pas la mesure de la complexité des phénomènes de compréhension, domaine qui ne fait pas actuellement l'objet d'un enseignement et d'un apprentissage suffisant (ce que montrent d'ailleurs les résultats de PIRLS), plus particulièrement sur les processus d'inférence culturelle et linguistique, sur les enjeux des textes en fonction de la diversité de ceux-ci (informatifs vs narratifs)[6].Il faut analyser les difficultés, mais aussi aller au-delà des constats, comme le souligne Maryse Bianco dans ses Propositions pour une programmation de l’enseignement de la compréhension en lecture adressées au CSP. Le lecteur doit non seulement apprendre à être acteur mais un acteur flexible car tous les documents ne se lisent pas de la même façon. Il faut prendre en effet la mesure de l’éclatement des textes auxquels les élèves sont confrontés. Ces supports hétérogènes ou composites, selon les termes d’Elisabeth Bautier (albums, documentaires, manuels et documents pour la classe) mêlent différents codes, différentes voix. Pour s’en saisir, l’élève doit pouvoir se repérer dans les éléments qui le composent, ce qui fait difficulté pour nombre d’entre eux, en particulier ceux issus de milieux populaires. Le phénomène est bien sûr amplifié dans le domaine de la littératie numérique : hypertexte, texte augmenté, traitement du code alphabétique mais aussi des images et du son…
Faut-il attendre la parution de nouveaux programmes pour faire évoluer les pratiques ? Pourquoi les évolutions ne partiraient-elles pas de la base, à partir de « petits foyers » ? L’AFEF se propose ainsi de poursuivre les orientations de ces dernières années et de son université d’automne en organisant une rencontre sur ce sujet, occasion pour des enseignants de la maternelle à l’université de réfléchir ensemble à ce dont les élèves ont besoin pour apprendre à mieux comprendre, en particulier ceux que l’école laisse actuellement de côté, et de plus en plus.
L’enjeu d’une journée sur ce sujet, qui méritera peut-être qu’on lui consacre davantage de temps, est de prendre conscience des dimensions cognitives, socio-affectives, linguistiques et culturelles des processus de compréhension. Quelles opérations intellectuelles met-on en œuvre pour comprendre ce qu’on lit ? Quelles différences selon les individus ? Selon la nature des textes, par exemple textes littéraires ou textes documentaires ? Enfin, en quoi la connaissance de ces processus conduit-elle à revoir les gestes d'étude à mettre en place : sont-ils les mêmes qu’on enseigne à des élèves de CP, de Cycle 3, en 6e ou en 3e, voire à l'université ?
Pour prolonger la rencontre : une bibliographie plus étendue
[1] Lire aussi : "La France ne forme pas que de bons lecteurs", Dominique Seghetchian, site de l'AFEF
[2] Sommaire de la revue Argos n°48, Comprendre ça s'apprend (juillet 2011)
[3] En particulier à travers les documents d’accompagnement, qui fournissaient des outils d’analyse des textes, pour y repérer les obstacles à la compréhension, en liaison avec les listes d’ouvrages de littérature de jeunesse recommandés
[4]Cf par exemple Sharon Murphy (Ontario), Evaluer la difficulté des textes pour les élèves
[5] Introduction de l’ouvrage cité, p.9.
[6] Nous citons le texte d’Elisabeth Bautier, mais bien d’autres chercheurs, tels Roland Goigoux ou Maryse Bianco vont dans le même sens.
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