Reconstruire un nouveau Liban par le lien social et la cohésion.


Cynthia Eid, vice-présidente de la FIPF, sur la tragédie qui a frappé son pays d'origine

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Reconstruire un nouveau Liban par le lien social et la cohésion.

Cher-e-s collègues, Cher-e-s Présidentes de l’ALEF et de l’ANELF, Cher-e-s Beyrouthines et Beyourthins, Chères associations de professeur-e-s de français de la communauté internationale,

Tel un 11 septembre libanais, les images tournent en boucle dans ma tête. La vie s’est figée… La ville de Beyrouth est meurtrie, déchirée, défigurée. Quelques secondes ont suffi pour changer son paysage historique et culturel. Quelques secondes ont suffi pour résigner la capitale appelée « Dame du monde[1] » à une déflagration sans pareil. Quelques secondes ont suffi pour pousser tout un peuple à rebâtir la « cité debout sur mappemonde »,[2] mais surtout, à rebâtir un nouveau tissu social libanais.

Le 4 août 2020, Beyrouth, la capitale du Liban, a été touchée par deux violentes explosions. 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium entreposées dans le port seraient à l’origine de la catastrophe [engendrant un cratère de 43 mètres de profondeur] qui a soufflé des quartiers entiers et a semé la mort à travers la ville.

Le constat est infâme : 200 morts et 200 familles endeuillées, 6 500 blessés, 300 000 sans-abris et des dégâts humains et matériels colossaux.  

Beyrouth souffre par ailleurs d’une multitude d’autres maux. Succédant à des années de guerre civile, puis à une crise économique sans précédent et à un fonctionnement défaillant des institutions politiques, les explosions dans le port de Beyrouth apparaissent comme la catastrophe de trop.

Deux mois après le 4 août 2020, deux mois déjà… 

Dans ce bilan traumatisant de destruction qui va bien au-delà du bilan humain, comment renouer le lien social et repenser la cohésion des Beyrouthines et des Beyrouthins ? Dans un pays où l’État et la société se tournent le dos, le lien social, la cohésion et la convivialité passent par 1) les associations 2) l’éducation 3) la diplomatie, la francophonie et la langue française en partage et 4) l’art, la culture et la littérature.

  1. Renouer le lien social grâce aux associations locales et mondiales 

Solidarité associative mondiale et solidarité des partenaires : les Associations des professeurs de français affiliées à la FIPF s’unissent pour le Liban. À la veille du 4 août, plusieurs Instituts français et associations de professeur-e-s de français dans le monde m’ont contactée afin de se déclarer solidaires avec mon peuple, avec le pays de mes origines. De l’Arménie à l’Australie en passant par la Côte d’Ivoire, la Turquie, l’Italie, l’Autriche (et j’en passe), elles/ils se sont tous montré-e-s solidaires et déterminé-e-s à venir en aide aux Libanaises et aux Libanais pour faire de l’éducation, de la culture et du patrimoine les piliers de la reconstruction de Beyrouth.

Soyez toutes et tous remercié-e-s pour vos initiatives généreuses, votre humanisme de taille et votre altruisme fidèle…

Aux côtés de l’Agence pour l’enseignement du français à l’étranger, la Fédération Solidarité Laïque, la Mission laïque française, l’Association franco-libanaise pour l’éducation et la culture, l’association des Anciens des lycées français du monde ont uni leurs forces pour une campagne de solidarité intitulée « Urgence Beyrouth — Des cartables pour les élèves des écoles publiques ». Il s’agit en effet d’équiper des écoliers et de leur permettre, aussi sereinement que possible, d’aborder la nouvelle année scolaire inédite (cartables, fournitures scolaires, masques et gel hydro alcoolique). Même modeste, chaque don peut permettre d’apporter une aide significative.

Au Liban, dans ce maelstrom, ce sont les associations qui s’activent et qui viennent au secours de la population… Des milliers de jeunes descendent dans la rue pour réparer les dégâts. Parmi eux, les membres des Bureaux exécutifs des deux associations l’ALEF et l’ANELF ainsi que des centaines de professeur-e-s de français. Elles/ils se sont mobilisé-e-s au secours de leur capitale et de leurs concitoyen-ne-s, que cela soit en hébergeant des sans-abris, en donnant des cours de français chez elles/eux ou dehors (dans la nature) aux enfants qui ne pouvaient plus avoir une rentrée scolaire — même masquée —.

  1. Réparer le lien social par l’éducation, la clé de l’avenir du pays du Cèdre

À l’heure où j’écris ce billet, la rentrée hybride et pleine de doutes est derrière les écolier-e-s du monde, mais pas pour celles et ceux des 159 écoles touchées par les deux explosions. L’hiver est aux portes, la détresse est totale et les écolier-e-s sont dans la rue. La situation économique dramatique du Liban empêche la population de procéder aux réparations, car les banques bloquent les avoirs des déposant-e-s. Les familles sont dans le plus grand dénuement. Plus de 85 000 élèves sont touchés. 

Reconstruire un pays passe nécessairement par l’éducation, la scolarisation et l’enseignement à distance de ses enfants et de ses jeunes, reconstruire un pays passe nécessairement par la reconstruction de ses écoles et de ses universités. C’est dans cet esprit de solidarité que l’enseignement supérieur en France a ouvert ses bras aux apprenant-e-s libanais-e-s. Les Universités Lumière Lyon 2, Paris-Saclay, ainsi que celles de Bordeaux, d’Angers, de Caen et de Clermont-Auvergne, etc. se sont mobilisées afin de pouvoir accueillir les étudiant-e-s libanais qui sont dans l’impossibilité de poursuivre leurs études à Beyrouth, notamment avec exonération des droits d’inscription et accompagnement à l’installation en France.

La France — appelée par les Libanais et les Libanaises la tendre mère — entretient depuis plus de mille ans une histoire à tout le moins affective avec le pays du Cèdre.

  1. Repenser la cohésion sociale par la diplomatie, la francophonie et la « langue française en partage »

Fief de la Francophonie au Proche-Orient, le Liban, carrefour de l’Orient et de l’Occident, en est le fleuron et le vivier linguistique et culturel.

De Saint Louis, persuadé que cette nation est une partie de la nation française, en passant par Jacques Chirac, pour qui il n’était pas facile [dans son cœur] de distinguer les Libanais et les Français, Emmanuel Macron s’adresse à Beyrouthines et aux Beyrouthins ainsi : « quand vous demanderez ce qu’on pense à Paris, retenez juste ces mots : “Bhebak ya Lubnan” (littéralement je t’aime le Liban, Titre de la chanson de la diva libanaise Feyrouz).  

 Il est rarissime qu’un chef d’État se rende deux fois en moins d’un mois dans un même pays. Ce protocole ne s’est pas appliqué au Liban. Deux jours après l’explosion, Emmanuel Macron s’y est rendu pour y revenir le 2 septembre voir l’évolution de la catastrophe sur le terrain et le déroulement des aides humanitaires.

Force est de constater que les cultures libanaises et françaises ont accepté qu’ « une espèce d’osmose linguistique, culturelle, et même géographique, puisse être possible entre elles. Il y a véritablement une richesse dans ce tissu bilatéral créé à travers les siècles »[3]

Dans la province du Québec, Denis Coderre[4] affirme que la communauté libanaise fait partie de l’ADN du Québec. « Il y a beaucoup de liens qui nous unissent. On fait partie de la francophonie ». Au Canada, le ministre des Affaires étrangères, François-Philippe Champagne, s’y est rendu pour témoigner le soutien canadien indéfectible aux Libanais qui ont façonné la cuisine, l’art, la littérature et la chanson canadienne.

  1. Reconstruire la cohésion sociale par l’art, la culture et la littérature 

Pour adoucir la peine des Beyrouthines et des Beyrouthins, plusieurs programmes spéciaux autour du Liban se sont organisés dans le monde entier afin de donner la parole aux penseurs, historiens et artistes. Deux mois après la catastrophe, plusieurs émissions, magazines, débats, interviews et documentaires dédiés à la situation libanaise continuent à être diffusés afin de mobiliser l’opinion internationale et de « répondre par la beauté, la parole et les idées » aux drames qu’affronte courageusement le peuple libanais.

Les artistes et architectes se veulent être « la culture de la vie », celles et ceux qui défendent la diversité culturelle par la créativité. Elles/ils exhortent l’UNESCO, dont le Liban est membre fondateur, à sauver « l’esprit de Beyrouth ». Elles/ils se disent être peut-être la seule communauté non confessionnelle et apolitique, partageant une même croyance : le respect de l’œuvre.

Dans Celle qui ne regarde plus ailleurs, Tahar Ben Jelloun [5] écrit le 3 septembre 2020 ce qui suit : Deux explosions ont brisé toutes les vitres semées sur le chemin des Beyrouthins. Pas seulement les vitres. Des corps, des vies, des enfances, des mémoires, des habitudes et le statut équivoque de la mort qui avait déposé là ses bagages et ses cercueils. Beyrouth a pourtant besoin de respirer, de dresser la table midi et soir, de narguer la mort et ses adeptes, de sortir des confessions le temps de voir s’il est possible de recoller les morceaux avec des pans de vie non souillée par la honte. […] Beyrouth a de l’imagination. Elle s’en sortira. […] Finalement, seul le peuple libanais, admirable et digne, saura trouver les chemins à prendre, les actions à entreprendre pour réparer l’homme et le pays.

Beyrouth, ce livre, ce roman avec des personnages qui quittent la réalité pour se remplir de mots […]. Est-ce un roman ou bien un dictionnaire qui corrige la définition des mots que des drames ont détournés de leur trajet normal ? Les mots, eux aussi, se baladent tout en se cognant contre des vitres qui se dressent au milieu des chemins. On ne les voit pas, même si le soleil s’y reflète et brille par procuration.

Le pape François exhorte les Libanais à se relever et à être protagonistes de la renaissance du Liban qui est plus qu’un État. C’est un message de liberté, un exemple de pluralité aussi bien pour l’orient que pour l’occident. Le pouvoir, c’est le peuple. Dans ce même ordre d’idées, Beyrouth est de ces lieux mythiques que nul ne peut détruire. Elle a la résistance du Cèdre et Sa Majesté (Alexandre Najjar). Le temps presse. Beyrouth, cette ville-mémoire, capitale du pays du Cèdre a besoin de nous, de vous. Beyrouth, cette ville-monde, nous/vous attend. Ne ratons/ratez pas ce RENDEZ-VOUS avec Beyrouth, ne ratons/ratez pas ce RENDEZ-VOUS avec l’HISTOIRE.

 


[1] Beyrouth Sitt El Duniya, (Littéralement, Beyrouth « Dame du monde », Chanson de Majida El Rouni.

[2] Hommage à Beyrouth rendu par Hiba Tawaji et Ibrahim Maalouf, chanson écrite à l’occasion des deux explosions du 4 août 2020.

[3] Ghassan Salamé, ancien ministre de la Culture, de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur du Liban.

[4] Ancien ministre libéral et ex-maire de Montréal.

[5] Écrivain, peintre et poète franco-marocain.

Soumis par   le 03 Novembre 2020