«Langue pour communiquer et langue pour apprendre :
quelles exigences ? Quelles tensions ? Quelles possibles inégalités scolaires ? »,
Rencontre-débat : avec Elisabeth BAUTIER et Jacques BERNARDIN, animée par Brigitte MARIN
Samedi 13 octobre 2012(14h-17h30)
Association Reille, 34 Avenue Reille, 75014 Paris (M° Glacière ou Cité Universitaire)
Problématique
Langue pour communiquer et langue pour apprendre :
quelles exigences ? Quelles tensions ? Quelles possibles inégalités scolaires ?
« La maîtresse : Pouvez-vous me proposer des mots où l’on entend le son [a] ?
Karen : Papa.
La maîtresse : Oui.
Farid : Maman.
La maîtresse : Bien.
Kevin : Tonton. »[1]
… ou comment Kevin (et peut-être déjà Farid), davantage préoccupé par l’élargissement du cercle familial que par l’établissement de la relation grapho-phonétique, nous apprend à quel point utiliser la langue pour apprendre ne va pas de soi, et nous dit ainsi toute la somme des épreuves de transformation cognitive et langagière qu’il va devoir traverser pour cela, expériences que l’école lui permettra de soutenir (ou pas).
Pour un temps au moins, celui de l’école, il faut en effet pouvoir regarder les mots « Papa » et « Maman » et pas seulement les adresser aux personnes qu’ils désignent. Et en tant qu’enseignants, il faut pouvoir concevoir tout le caractère de non-évidence que cet usage particulier de la langue peut revêtir, pour un élève que la socialisation extrasolaire n’a pas nécessairement prédisposé à cette pratique, fortement marquée par l’écrit et la mise à distance. On pourrait donner de nombreux autres exemples, en cours de français ou dans d’autres disciplines, de malentendus langagiers et de distorsions entre l’activité que croit mener un professeur et la manière dont y répondent les élèves, certains étant familialement davantage prédisposés aux attentes de l’école et, par exemple, à la compréhension, même tâtonnante, qu’il y est question d’autre chose que de son Tonton (ce qui, complexité de l’affaire, n’interdit pas d’y penser).
On est alors interrogés, en tant que professeurs de français, quant à l’attitude que l’on peut ou que l’on doit adopter vis-à-vis de ces usages « non scolaires » de la langue, qu’ils soient marqués par la prééminence de l’expérience pratique du monde ou par la variation et l’écart au français dit standard.
On peut considérer que le rôle de transformation de l’école nécessite de ne pas tenir compte de ces pratiques, pour permettre aux élèves de s’arracher à leur condition et de se construire en tant qu’élèves, puis en tant que citoyens. Mais on peut aussi concevoir que le rôle de transformation de l’école ne peut se jouer qu’à proportion qu’elle admette et supporte que les élèves ne soient pas envisagés comme des pages blanches, qui n’importeraient rien sur la scène scolaire. Considérer alors comme normal et prévisible qu’ils n’entrent pas dans les activités qu’on leur propose en purs opérateurs cognitifs et linguistiques adaptés a priori aux tâches : ces activités, ils les interprètent en effet en fonction de leur histoire, des résonnances psychiques qu’elles suscitent et de leurs modes de faire avec la langue (à la fois propres et liés à leur milieu social d’appartenance). Seule la reconnaissance et la connaissance de ces dimensions par l’enseignant peut permettre de les transformer (ce qui ne signifie pas les disqualifier ou les bannir).
Que répondre alors à Kévin ? On peut envisager « Tonton » comme une erreur, une scorie à éliminer, la scène risquant de se clore sur un malentendu. Kévin entendra juste qu’il « a faux » (la fonction de gardien du code pesant lourdement sur nos épaules), sans savoir pourquoi, quand lui de son côté restera sur la certitude d’avoir dit quelque chose de vrai, sans espace de réélaboration possible. On peut aussi considérer qu’il fournit des matériaux qui ne constituent pas des parasitages de l’activité menée mais bien plutôt ses constituants essentiels. Kévin apportant son expérience de la langue en classe, il donne l’occasion de réfléchir aux manières dont on pourrait lui rendre visible le décentrement attendu et donc l’ouverture à une expérience nouvelle pour lui, porteuse de développement. Soit, pour nous, une entreprise redoutablement exigeante et difficile.
Des intervenants qui ont accepté de venir nous aider à travailler ces questions le samedi 13 octobre prochain, on n’attendra évidemment pas qu’ils se prononcent sur la pertinence de telle ou telle démarche pédagogique, mais qu’ils nous aident à élaborer les différents termes de la question.
Comment peut-on caractériser les usages de la langue attendus et pratiqués par l’école ? En quoi ne se limitent-ils pas seulement à une conformité aux normes du bien-parler, du bon usage, mais sont-ils impliqués dans la construction des concepts et des savoirs? Sous ce rapport, en quoi peut-on parler de l’école (de la maternelle à l’université) comme « monde de l’écrit » (J.Bernardin[2]) ? Comment caractériser les pratiques langagières des élèves qui ne se situent pas dans la connivence des attentes scolaires ? Et, en fil rouge à toutes ces questions, en quoi et comment l’école participe-t-elle, souvent à son insu et parfois par ses réponses supposées remédier aux difficultés des élèves, à la co-construction des inégalités scolaires ?
Sur ces différentes questions, deux intervenants ont accepté de nous apporter leurs éclairages :
Elisabeth BAUTIER, Professeur en sciences de l'éducation, Université Paris 8, Laboratoire CIRCEFT-ESCOL
Jacques BERNARDIN, docteur en sciences de l'éducation, président du GFEN
La rencontre-débat sera animée par Brigitte MARIN, Professeure des Universités en sciences du langage, Membre du CNU
[1]Rapporté par Élisabeth Bautier et Roland Goigoux dans « Difficultés d’apprentissage, processus de secondarisation et pratiques enseignantes : une hypothèse relationnelle », Revue française de pédagogie, 148, 2004
[2] « L’entrée dans le monde de l’écrit », Le français aujourd’hui n°174, 2011.
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