Un non-évènement : le « nouveau » dépliant du Ministère
L’orthographe et son enseignement
L’emballement médiatique prévu par le communiqué de presse du 16 avril n’a pas eu lieu, feu de paille encore plus rapide qu’à l’accoutumée si l’on juge par l’intérêt récurrent pour son orthographe de l’opinion publique française, qui aurait pu en être flattée en cette période préélectorale. Certes, qui ne pourrait reconnaitre le constat d’« un effritement lent et progressif des compétences orthographiques » ? Ni souscrire à la première phrase du communiqué : « La maîtrise de l’orthographe est un enjeu majeur pour la réussite des élèves et a un impact significatif sur la maîtrise globale de la langue française. » ? Le dépliant « L’orthographe et son enseignement » qui va être envoyé prochainement aux enseignants de primaire, aurait mérité plus de sérénité dans sa diffusion, de consistance dans son contenu, et surtout de rigueur dans ses fondements.
Nous étions prêts à lui reconnaitre des qualités, notamment dans les deux principaux axes retenus et présentés comme complémentaires, sur lesquels nous reviendrons plus loin :
- Un enseignement progressif et explicite
- Une attention permanente à l’orthographe.
Evelyne CHARMEUX[1] a certes raison d’affirmer : « Non, non et non ! La dictée n’est pas la solution », mais, reconnaissons-le, la dictée est peu présente dans ce dépliant, et il ne s’agit pas de nous focaliser sur un exercice qui, somme toute, peut être utilisé de manière intelligente avec les « diverses formes de dictées autonomes ou accompagnées, individuelles ou partagées » indiquées en page 5, et comme, surtout, dans le travail mené sur « La dictée négociée »par Micheline CELLIER[2], avec ses propositions pour « Un réel apprentissage de l’orthographe dans et par l’oral », qui s’appuient notamment sur les travaux de Jacques DAVID.
Mais, ces « bons points » ne nous enlèvent pas le gout amer provoqué par une série d’ « oublis » dont nous ne pouvons penser qu’ils sont totalement fortuits.
À y regarder de plus près, les mêmes médias qui se sont précipités sur l’aubaine d’une nouvelle croisade pour l’orthographe auraient pu se reporter quelques mois en arrière, quand, en novembre 2011, ils se mobilisaient pour porter à la connaissance du grand public que, depuis 2008, « l’orthographe révisée est la référence »[3], et que nombre d’enseignants du primaire soutenaient l’initiative du blog Charivari à l’école d’interpeler les éditeurs scolaires pour que les manuels respectent le bulletin officiel. Que vont penser ces mêmes enseignants du primaire quand ils vont bientôt recevoir un dépliant qui, non content de ne pas respecter les règles élémentaires de l’orthographe rectifiée, ne prend même pas a peine de les signaler, comme si la précision de 2008, déjà peu diffusée, était définitivement gommée ?
À y regarder de plus près aussi, les mêmes médias auraient pu se souvenir d’autres publications qui avaient défrayé la chronique orthographique. Quand le dépliant fait état de l’augmentation du nombre d’erreurs établi par la DEPP entre 1987 et 2007, nous prenons acte. Mais, n’aurait-il pas fallu au moins dire que cette comparaison avait été menée par Danièle MANESSE et Danièle COGIS à partir de 2005, dix-huit ans après l’enquête CHERVEL-MANESSE[4], et qu’elle ouvrait des pistes explorées et développées dans leur ouvrage « Orthographe : à qui la faute ? »[5], qui avait justement fait couler beaucoup d’encre lors de sa parution ? Nous aurions mauvaise grâce à renier ce constat, l’AFEF a pris régulièrement le temps de réfléchir aux causes de cette érosion, et aux remèdes possibles, lors de plusieurs rencontres-débats (décembre 2007, avril 2011).
Mais le constat ne suffit pas, nous en sommes bien convaincus, et limiter la première page du dépliant à quelques clichés sur la nécessaire maitrise de l’orthographe et le résultat chiffré des évaluations confine à une énième déploration dont l’école n’a pas vraiment besoin aujourd’hui. Pourtant, Jean-Pierre JAFFRE, dans son billet « 21 ans après… » pour la Lettre de l’AFEF du mois de décembre 2011, soulignait déjà les dangers de cette déploration qui, faisant croire à un « paradis – définitivement – perdu » et à un autrefois bien mieux qu’aujourd’hui risque fort de détourner des explications et solutions pertinentes.
Certes les « deux grands axes complémentaires pour l’apprentissage de l’orthographe à l’école », que nous avons déjà cités, sont prometteurs. Depuis longtemps, en effet, nous demandons que soit établie une progression dans l’enseignement et l’évaluation de l’orthographe, pour que les élèves ne soient pas censés tout maitriser dès leurs premières années de primaire. Le développement des orientations pédagogiques, en page 4, va bien dans ce sens ; nous ne pouvons alors qu’être surpris par la légèreté des pistes d’exercices données en page 5, surpris que l’exemple de progressivité donné pour l’orthographe lexicale associe un mot phonétique : bonobo et un mot d’origine gréco-latine recréé au 19ème siècle pour les besoins scientifiques : python ; quel bel exemple d’élaboration progressive par les élèves d’une mémoire orthographique ! Quand les didacticiens demandent que l’on mette en place une progression dans l’apprentissage de l’orthographe, c’est parce qu’ils considèrent l’orthographe comme un plurisystème que les élèves doivent s’approprier, non pour leur faire apprendre par cœur des listes de mots sans autre lien entre eux que d’appartenir à la même catégorie animale.
Nous ne pouvons que nous réjouir que soit préconisée, pour aider à la compréhension des règles, une pédagogie « associant la découverte, la formalisation des règles et des activités réflexives sur la pratique » et donnant une large place à « l’apprentissage explicite ». Mais alors, pourquoi les pistes d’exercices données à la page suivante ne font-elles plus référence à cette réflexivité, privilégiant les activités de mémorisation, copie, imprégnation ? Peut-être, à court d’exercices, les concepteurs du dépliant auraient gagné à puiser dans l’excellent ouvrage de Catherine BRISSAUD et Danièle COGIS, Comment enseigner l’orthographe aujourd’hui ?[6] qui n’est pas plus cité dans la bibliographie que les ouvrages précédents.
« Une attention permanente à l’orthographe », un enseignement de la norme sont en mesure d’aider les élèves les plus en difficulté à s’approprier et maitriser la langue, mais le but assigné de « l’enseignement de l’orthographe pour mieux maitriser la grammaire », n’est-il pas sans dommages ? L’apprentissage de la grammaire est-il une fin en soi ? Apprend-on l’orthographe pour maitriser la grammaire, ou la grammaire pour maitriser l’orthographe et la langue ? Instrumentaliser l’orthographe, en faire un outil au service de la lecture, de l’écriture, du vocabulaire, de la grammaire, c’est oublier les interactions constantes : lire, écrire, apprendre du vocabulaire, comprendre le système grammatical, c’est aussi se construire progressivement une écriture à la fois normée et en questionnement perpétuel. C’est bien cela, une attention permanente à l’orthographe, s’interroger continuellement sur la norme, l’origine, la graphie, les accords.
Mais, pour cela, la bonne volonté des enseignants n’est pas suffisante. Il leur faut aussi du temps, ce qu’ils ont de moins en moins vu l’inflation des programmes et des sollicitations. Il leur faut aussi une formation qui s’appuie sur les recherches des didacticiens. Nous savons que la formation se fait rare.
Et n’est-il pas curieux qu’aucun des travaux des didacticiens français qui font autorité, ceux que nous avons cités et d’autres, ne soit signalé en référence bibliographique ? L’AFEF vous propose de combler ce manque grâce aux pistes bibliographiques proposées par Bénédicte ETIENNE. Bonne lecture !
Viviane YOUX
[1] Auteure qui a très largement contribué à enrichir la réflexion dans notre discipline
[2] IUFM de Montpellier
[3] Hors-Série n° 3 du 19 juin 2008 (Cycle des approfondissements, Progressions pour le cours élémentaire deuxième année et le cours moyen – Français – Orthographe)
[4] La Dictée, les Français et l’orthographe, André CHERVEL et Danièle MANESSE, Calmann-Levy, 1989
[5] Orthographe : à qui la faute ?, Danièle MANESSE, Danièle COGIS, ESF, 2007
[6] Hatier, 2011
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